Accéder au net et au courrier est un peu chaotique ; par exemple, j’ai cru malin de donner à tout le monde mon adresse hotmail : total, je n’arrive à y accéder que par des détours miraculeux. Et au bureau du journal (entendez cc21) ce ne serait pas mieux parce que un petit malin – vous savez qui – a tripoté mon mot de passe de sorte que cette adresse qui me fut donnée en grande pompe sert tout juste à me pomper mon fric puisque en m’escrimant à y accéder, de précieuses minutes s’écoulent en vain.
En réalité, le temps sur internet n’est pas cher ici, mais la lenteur de la connexion ne t’encourage pas à surfer. Je suis certaine que la situation va s’améliorer comme tout le reste.
Alors, Damas ? Google vous donnera de très bons sites sur la ville.
Il y a de la laideur, de la pollution et de la magie. Hier, j’ai fait un arrêt chez le glacier Bekdash dont le proprio a épousé la fille du Monsieur rencontré dans l’avion (celui qui me trouve trop vieille pour étudier) dans le Souk al- Hamidiyya où on pilonne la glace à la main et où pour 20 FEB tu as une grande coupe couronnée de pistaches. Cet endroit est toujours plein comme un œuf.
Ensuite, je suis allée à ma fontaine à côté du café An-Nafourah, mais elle était à sec et de tristesse je n’ai pas pris mon narguilé, car à quoi bon fumer devant une cage vide (la fontaine est dans une cage).
Dans mon trouble, j’ai maladroitement donné un coup de pied dans le guéridon sur lequel était posé mon verre de thé, envoyant le tout valser sur le jean d’un touriste assis à côté. Sans un mot (et sans me le compter), le garçon est venu poser un nouveau verre sur mon guéridon. Le touriste a été un peu plus démonstratif.
L’eau est LE problème de la région ; pourquoi ne financerions-nous pas un aqueduc depuis l’Europe jusqu’ici ? On peut à la rigueur vivre sans pétrole, mais sans eau ? Quand on survole la Syrie depuis Alep, on ne voit qu’un immense désert. La raison pour laquelle les Israéliens refuseraient de rendre le Golan tiendrait à ses ressources en eau.
Revenons à la magie. Elle est dans la rue, les gens, leur gentillesse, leur contact facile.
Dans un magasin, je demande un adaptateur pour la prise de mon pc ; ils n’en n’ont pas, mais ils envoient un petit garçon m’en chercher un. Un autre magasin n’a pas de disquettes : même chose ; ils m’en ramènent. Devant les salons de coiffure, sur le trottoir, les serviettes sèchent sur de petits étendages en plastique.
Je suis sûre que je dois vous parler des femmes ; dans le quartier où je vais habiter, elles sont en jeans. La jeune fille qui va me donner des cours porte le hijab ; et alors ? En quoi cela nous regarde-t-il ? Dans l’avion, j’ai rencontré une journaliste « en cheveux », qui vit seule, pas mariée, et qui quand elle voyage en Arabie Saoudite, porte le voile. On me redemande occasionnellement si je suis musulmane ; je réponds que je suis catho et la réponse suffit..
Parlons de mon hôtel : un joyau. Exotique et confortable, efficace et propre. Il est pour tous les nouveaux arrivés une première famille.
Néanmoins à ma première douche j’ai quand même regardé avec suspicion le néon qui ne se trouve pas très loin de la pomme (de douche). [Un récit de voyage m’avait déjà appris que les Syriens n’ont pas peur de l’électricité (un fil dénudé risque à tout moment de transformer le lit en fer que l’auteur partage avec son amant en chaise électrique)].
L’appartement, je l’ai trouvé le lendemain de mon arrivée ; j’ai tout de suite su que c’était ce que je voulais : près de l’institut où je vais étudier, et agréable. Je croyais naïvement qu’il me suffirait de payer et que j’allais pouvoir emménager le lendemain. Faux, mais avec l’aide d’un monsieur, qui me sert d’interprète et de guide, je franchis allègrement les obstacles (ambassade, affaires étrangères, station de police) et je compte m’installer demain, mardi, ou au plus tard, mercredi.
L’ambassade US, devant laquelle je passe au retour du ministère des affaires étrangères, te donne un coup de poing dans la figure : un monument d’arrogance, de domination, de défi. J’ai vraiment de la peine à les voir en défenseurs du monde libre. C’est une citadelle, entourée de hauts murs ; le personnel loge sans doute sur place. Il y a des soldats partout. C’est un bunker, une station extra-terrestre.
Quant à l’Institut où je vais étudier, il regroupe des étudiants du monde entier, et nous serons bien forcés de communiquer en arabe ; je suis impatiente de commencer les cours.
Vous voulez des nouvelles de mes – chers – bagages ? A l’hôtel, j’ai tout défait et refait car décidemment, je ne retrouvais rien. Néanmoins, je crois que je n’ai rien oublié. Au temps pour toi, Pascal.
Là-dessus, je vais me relancer dans les aventures du Jacques d’Assimil qui est en train de commander son repas au restaurant.
Allez, ciao ; maa salama !
Dominique ou Pascal, pourriez-vous me nettoyer mon texte ? Je n’y arrive pas et sans apostrophes, le texte se lit bizarrement
Damas, jeudi, 19 septembre 2002
Premier courrier depuis mon appartement
… et deuxième nuit passée sur un matelas posé à même le sol, le lit de ma logeuse étant le chemin le plus sûr vers un nouveau passage sur la table de mon orthopédiste. Vu que je dois avoir coûté un million à mon gouvernement, je crois que l’achat d’un matelas est une petite faveur que je nous fais à tous deux, et à moi surtout.
Mon cornac (pour les non francophones : Personne qui introduit, guide qqn ) que j’appellerai désormais l’Ami, me dégotte dans la vieille ville un atelier où l’on va me confectionner un matelas convenable en trois jours.
Jonathan du Arabic language institute de Fez a étudié ici et m’avait prévenue que sans de solides notions d’arabe je n’arriverais jamais à passer les chicanes administratives à franchir pour entrer dans un logement. Il avait entièrement raison, mais c’était sans compter avec l’Ami et ses providentielles interventions.
Pourquoi ne pas avoir exigé de ma bazine (logeuse en flamand) un nouveau matelas ? Il y avait foule de candidats et c’était à prendre ou à laisser. En outre, les prix syriens ne sont pas comparables aux nôtres et faire faire un matelas n’est pas une ruine.
N’empêche, qu’avec les menus frais et le versement du loyer pour six mois, mon capital est en train de fondre rapidement ; non, il n’y a pas moyen d’aller à une petite boîte retirer du liquide, ni de s’adresser à une Banque pour obtenir des fonds sur une carte Visa. En cas d’urgence, tu cours à Beyrouth ou à Amman.
Néanmoins, depuis quelques mois, tu peux ouvrir un compte en Euros ou en dollars et y faire transférer des fonds. Et les fonds restent en Euros ou en dollars.
Ma sœur me dit : ah, tu as un appartement ? Donne-moi ton adresse, que je t’écrive ! J’ai bien une adresse, mais y envoyer du courrier tu oublies. Je crois bien qu’il n’y a pas de facteurs et je n’ai pas vu de boîtes aux lettres. Les adresses se lisent parfois : derrière la mosquée X, en face de l’école X, près du croisement des rues Z et Z. Les gens ont une boîte postale, ou ils se téléphonent. Mon hôtel d’accueil me propose de servir de bal.
Voilà pour les côtés pratiques à l’intention de ceux que l’aventure damascène tenterait.
Reparlons un peu de l’enivrante magie de l’endroit ; les nuits sont fraîches et tu stockes cette fraîcheur dans tes murs, puis tu fermes toutes les issues comme le font les gens des pays chauds.
De deux heures à quatre heures, tu fais la sieste ; puis, je vais dans la vieille ville et je goûte le glissement de la chaleur encore torride vers l’accalmie, jusqu’à la température absolument délicieuse de six heures.
Là, je sirote mon verre de thé chez An-Nafura ou au café d’en face, après un détour chez le glacier, et c’est l’abandon à la douceur du soir (oui, oui, sous le ciel rouge et noir etc. voir Boléro).
La fontaine a de l’eau, mais elle ne coule pas ; quant au narguilé, je crois que je vais renoncer car il crée très rapidement l’accoutumance et l’Ami me dit qu’un seul narguilé équivaut à 20 cigarettes.
Le vin, la bière ? Il est extrêmement facile de s’en passer.
Je ne prendrai pas d’abonnement à Internet vu que j’ai un cyber en face et que la connexion est trop lente pour surfer ; en outre, j’aurai besoin de tout mon temps pour étudier. Je me rends compte que je ne sais rien, mais encore…
Hier, dans la vieille ville, un couple perdu et éperdu m’entend parler l’anglais et me demande un resto bien précis, près de là, dans une vieille maison. Avec mon arabe rudimentaire, je demande à un garçon : tu sais où se trouve un restaurant dans une vieille maison près d’ici ? Et mon interlocuteur nous l’indique. Mes anglos admiratifs : oh, comme c’est bien de tomber sur quelqu’un qui parle arabe et anglais. S’ils savaient !
L’Ami m’accompagne faire mes premières courses pour que je ne me fasse pas rouler ; cet homme, qui a l’âge qu’aurait pu avoir un fils, me traite paternellement, mais sans aucune condescendance. Il pense à tout, me change ma serrure et me dit bien que s’il me met le pied à l’étrier, après j’aurai moins besoin de lui.