Vendredi (= dimanche) Samedi 21 septembre 2002

Le vendredi ressemble en effet à nos dimanches ; je parcours les souks où tous les magasins sont fermés, ou presque, mais où il y a des promeneurs. Bekdash, le fameux glacier, est ouvert.

Au détour d’une ruelle, je tombe sur un marché de vêtements très actif. Je ne sais pas ce qui va se passer dans l’après-midi car je serai en pleine sieste.

C’est tout pour le moment. L’Ami m’apporte aujourd’hui mon matelas, une petite table et le fauteuil en plastique et avec cela je serai équipée pour mes huit mois de séjour. Il m’a aussi trouvé une femme de ménage.

Premières impressions

Bonsoir les amis,

Ce courrier est pour moi très important d’autant plus que je n’ai pas encore accès au mien. Hotmail est interdit de séjour pour le moment.

J’ai passé trois heures d’angoisse parce que je pensais avoir perdu mon passeport. Sans passeport t’es mort.
Comme partout ailleurs, sans passeport tu ne sors pas du pays, mais – chose beaucoup plus importante – tu ne tires pas d’argent sur ton compte en banque. Bien sûr, j’avais déjà décidé de me tourner vers l’ambassade pour en obtenir un autre, mais si à Bruxelles il te faut trois semaines, Dieu sait combien de temps il m’aurait fallu ici !

Ce n’est qu’au dixième passage que j’ai décidé de soulever l’innocent discman sous lequel il se tapissait. Toujours noter dans un lieu que tu n’oublieras pas, l’endroit où tu caches tes objets de valeur.

Revenons à Damas

La circulation

Un pied sur l’accélérateur, l’autre sur le frein, une main sur le klaxon. Ce sont des virtuoses. Je n’ai pas encore vu d’accident. On se déplace en minibus quand on commence à faire partie des meubles ; jusqu’ici, c’était le taxi, mais je veux voyager comme les autochtones. Les minibus n’ont d’autres arrêts que ceux de leurs clients. Quand tu es au fond, tu fais transiter tes cinq livres (quatre FEB) par les autres voyageurs jusqu’au chauffeur qui, tout en conduisant, renvoie la monnaie par le même chemin. Il y a toujours quelqu’un qui t’aide à t’y retrouver dans les itinéraires.

Evaluation de mes connaissances d’arabe

A l’institut, le professeur a dû être nettement moins impressionné que les touristes perdus de l’autre jour.
Enfin, je ne pense pas que l’on me mette à l’alphabet.

Rencontre francophone

En avance sur le rendez-vous avec ma propriétaire, je vais prendre un café dans un bar près d’ici et je ne peux pas m’empêcher d’entendre une vive conversation en français entre cinq femmes assises à la table voisine ; elles parlent évidemment de l’actualité et certaines choses entendues me donnent une folle envie de les connaître. Qu’est-ce que je risque ? Je m’approche et je me présente ; elles m’accueillent à bras ouverts et m’invitent à venir à leur réunion hebdomadaire. Elles sont Syriennes et il y a une Française qui va suivre des cours au même institut que le mien. Malheureusement, je ne pourrai y aller qu’une seule fois à leur réunion vu qu’elles se retrouvent le matin quand j’ai cours.

Mon logement

Il est merveilleux de bon goût et de confort ;

le matelas conviendrait à n’importe qui d’autre n’ayant pas mon passé dorsal. Le premier jour, je n’arrive pas à allumer le butane et, comble d’horreur, je dois me faire non seulement un nescafé, mais en plus, froid. Ayant appris à allumer le gaz, je pense à toi, Dominique, tous les matins, en faisant mon café arabe à la cardamome dans le petit pot ad hoc, qui doit bien coûter 150 FEB, et au monstre (ma machine expresso à 600 Euros) que je t’ai légué avec soulagement.

J’ai un lave-linge, frigo etc. Je m’achète un fauteuil en plastic pour le mini balcon qui a le seul avantage d’être à l’extérieur ; tout à côté, il y a une école, en fait un orphelinat.

Le quartier, c’est comme Bockstael : il y a beaucoup d’Arabes J ; je dis cela à titre de transition vers l’humour. Il faut vraiment y aller sur la pointe des pieds, car ce que nous trouvons rigolo peut offenser ailleurs.

Mes voisins de palier

Il y a trois autres appartements dont un est occupé par une famille traditionnelle. Un coup de sonnette est toujours suivi d’un remue ménage, et quand la maîtresse de maison vient t’ouvrir, c’est avec son voile sur la tête. En famille, les femmes gardent leur hijab s’il y a un homme de l’extérieur. Dans les deux autres appartements, il y a respectivement des étudiants libanais et une famille dont la femme ne porte pas de voile.

Je serai beaucoup moins prolixe dans deux semaines quand mes cours commenceront ; je ne prends pas de photos pour l’instant car j’attends de savoir parler pour demander la permission etc. Un « moumkin ? » suffirait, mais je ne suis pas pressée. Ce que j’adore, ce sont les expressions des gens, leurs poses, toute leur façon d’être.

L’Ami continue à me rendre d’inestimables services comme d’aller payer la note d’électricité (cela se fait dans une petite baraque, le long d’une avenue) et de téléphone (les appels locaux sont bon marché, mais les internationaux avec carte, sont à 80 FEB la minute aux heures pleines ; dans l’autre sens, ma sœur me dit que de Paris il en coûte quatre Euros la minute. Est-ce possible ? Avec le 1666 à Bruxelles, c’était bien moins cher. Jecko, tu peux dormir sur tes grandes oreilles, tu n’auras plus de coups de fil pendant huit mois et je suis certaine que tu le regrettes. Avoue !

Le téléphone

Je reçois un coup de téléphone à minuit, et contrairement à ce qui se passait à Bruxelles, où ce ne pouvait être que Margot ou du harcèlement, ici c’est tout à fait normal. Adieu le neuf heures du matin – neuf heures du soir.

Les Arabes en Allemagne

Ma propriétaire finissait de téléphoner quand je suis venue prendre les clés et me dit, presque en larmes, que sa fille, qui vit en Allemagne, a été convoquée par la police et qu’il en va de même pour tout qui porte un nom arabe ou qui a commis le délit de naître avec une « sale gueule ».

En Amérique, l’on ratisserait tout ce qui, de la génération contestataire, tient encore sur ses jambes. La terre des hommes libres (land of the free) y ressemble de moins en moins.

Damas : 16 septembre 2002

Accéder au net et au courrier est un peu chaotique ; par exemple, j’ai cru malin de donner à tout le monde mon adresse hotmail : total, je n’arrive à y accéder que par des détours miraculeux. Et au bureau du journal (entendez cc21) ce ne serait pas mieux parce que un petit malin – vous savez qui – a tripoté mon mot de passe de sorte que cette adresse qui me fut donnée en grande pompe sert tout juste à me pomper mon fric puisque en m’escrimant à y accéder, de précieuses minutes s’écoulent en vain.
En réalité, le temps sur internet n’est pas cher ici, mais la lenteur de la connexion ne t’encourage pas à surfer. Je suis certaine que la situation va s’améliorer comme tout le reste.

Alors, Damas ? Google vous donnera de très bons sites sur la ville.
Il y a de la laideur, de la pollution et de la magie. Hier, j’ai fait un arrêt chez le glacier Bekdash dont le proprio a épousé la fille du Monsieur rencontré dans l’avion (celui qui me trouve trop vieille pour étudier) dans le Souk al- Hamidiyya où on pilonne la glace à la main et où pour 20 FEB tu as une grande coupe couronnée de pistaches. Cet endroit est toujours plein comme un œuf.
Ensuite, je suis allée à ma fontaine à côté du café An-Nafourah, mais elle était à sec et de tristesse je n’ai pas pris mon narguilé, car à quoi bon fumer devant une cage vide (la fontaine est dans une cage).
Dans mon trouble, j’ai maladroitement donné un coup de pied dans le guéridon sur lequel était posé mon verre de thé, envoyant le tout valser sur le jean d’un touriste assis à côté. Sans un mot (et sans me le compter), le garçon est venu poser un nouveau verre sur mon guéridon. Le touriste a été un peu plus démonstratif.

L’eau est LE problème de la région ; pourquoi ne financerions-nous pas un aqueduc depuis l’Europe jusqu’ici ? On peut à la rigueur vivre sans pétrole, mais sans eau ? Quand on survole la Syrie depuis Alep, on ne voit qu’un immense désert. La raison pour laquelle les Israéliens refuseraient de rendre le Golan tiendrait à ses ressources en eau.

Revenons à la magie. Elle est dans la rue, les gens, leur gentillesse, leur contact facile.
Dans un magasin, je demande un adaptateur pour la prise de mon pc ; ils n’en n’ont pas, mais ils envoient un petit garçon m’en chercher un. Un autre magasin n’a pas de disquettes : même chose ; ils m’en ramènent. Devant les salons de coiffure, sur le trottoir, les serviettes sèchent sur de petits étendages en plastique.

Je suis sûre que je dois vous parler des femmes ; dans le quartier où je vais habiter, elles sont en jeans. La jeune fille qui va me donner des cours porte le hijab ; et alors ? En quoi cela nous regarde-t-il ? Dans l’avion, j’ai rencontré une journaliste « en cheveux », qui vit seule, pas mariée, et qui quand elle voyage en Arabie Saoudite, porte le voile. On me redemande occasionnellement si je suis musulmane ; je réponds que je suis catho et la réponse suffit..

Parlons de mon hôtel : un joyau. Exotique et confortable, efficace et propre. Il est pour tous les nouveaux arrivés une première famille.

Néanmoins à ma première douche j’ai quand même regardé avec suspicion le néon qui ne se trouve pas très loin de la pomme (de douche). [Un récit de voyage m’avait déjà appris que les Syriens n’ont pas peur de l’électricité (un fil dénudé risque à tout moment de transformer le lit en fer que l’auteur partage avec son amant en chaise électrique)].

L’appartement, je l’ai trouvé le lendemain de mon arrivée ; j’ai tout de suite su que c’était ce que je voulais : près de l’institut où je vais étudier, et agréable. Je croyais naïvement qu’il me suffirait de payer et que j’allais pouvoir emménager le lendemain. Faux, mais avec l’aide d’un monsieur, qui me sert d’interprète et de guide, je franchis allègrement les obstacles (ambassade, affaires étrangères, station de police) et je compte m’installer demain, mardi, ou au plus tard, mercredi.

L’ambassade US, devant laquelle je passe au retour du ministère des affaires étrangères, te donne un coup de poing dans la figure : un monument d’arrogance, de domination, de défi. J’ai vraiment de la peine à les voir en défenseurs du monde libre. C’est une citadelle, entourée de hauts murs ; le personnel loge sans doute sur place. Il y a des soldats partout. C’est un bunker, une station extra-terrestre.

Quant à l’Institut où je vais étudier, il regroupe des étudiants du monde entier, et nous serons bien forcés de communiquer en arabe ; je suis impatiente de commencer les cours.

Vous voulez des nouvelles de mes – chers – bagages ? A l’hôtel, j’ai tout défait et refait car décidemment, je ne retrouvais rien. Néanmoins, je crois que je n’ai rien oublié. Au temps pour toi, Pascal.

Là-dessus, je vais me relancer dans les aventures du Jacques d’Assimil qui est en train de commander son repas au restaurant.

Allez, ciao ; maa salama !

Dominique ou Pascal, pourriez-vous me nettoyer mon texte ? Je n’y arrive pas et sans apostrophes, le texte se lit bizarrement

Damas, jeudi, 19 septembre 2002

Premier courrier depuis mon appartement

… et deuxième nuit passée sur un matelas posé à même le sol, le lit de ma logeuse étant le chemin le plus sûr vers un nouveau passage sur la table de mon orthopédiste. Vu que je dois avoir coûté un million à mon gouvernement, je crois que l’achat d’un matelas est une petite faveur que je nous fais à tous deux, et à moi surtout.

Mon cornac (pour les non francophones : Personne qui introduit, guide qqn ) que j’appellerai désormais l’Ami, me dégotte dans la vieille ville un atelier où l’on va me confectionner un matelas convenable en trois jours.

Jonathan du Arabic language institute de Fez a étudié ici et m’avait prévenue que sans de solides notions d’arabe je n’arriverais jamais à passer les chicanes administratives à franchir pour entrer dans un logement. Il avait entièrement raison, mais c’était sans compter avec l’Ami et ses providentielles interventions.

Pourquoi ne pas avoir exigé de ma bazine (logeuse en flamand) un nouveau matelas ? Il y avait foule de candidats et c’était à prendre ou à laisser. En outre, les prix syriens ne sont pas comparables aux nôtres et faire faire un matelas n’est pas une ruine.

N’empêche, qu’avec les menus frais et le versement du loyer pour six mois, mon capital est en train de fondre rapidement ; non, il n’y a pas moyen d’aller à une petite boîte retirer du liquide, ni de s’adresser à une Banque pour obtenir des fonds sur une carte Visa. En cas d’urgence, tu cours à Beyrouth ou à Amman.

Néanmoins, depuis quelques mois, tu peux ouvrir un compte en Euros ou en dollars et y faire transférer des fonds. Et les fonds restent en Euros ou en dollars.

Ma sœur me dit : ah, tu as un appartement ? Donne-moi ton adresse, que je t’écrive ! J’ai bien une adresse, mais y envoyer du courrier tu oublies. Je crois bien qu’il n’y a pas de facteurs et je n’ai pas vu de boîtes aux lettres. Les adresses se lisent parfois : derrière la mosquée X, en face de l’école X, près du croisement des rues Z et Z. Les gens ont une boîte postale, ou ils se téléphonent. Mon hôtel d’accueil me propose de servir de bal.

Voilà pour les côtés pratiques à l’intention de ceux que l’aventure damascène tenterait.

Reparlons un peu de l’enivrante magie de l’endroit ; les nuits sont fraîches et tu stockes cette fraîcheur dans tes murs, puis tu fermes toutes les issues comme le font les gens des pays chauds.

De deux heures à quatre heures, tu fais la sieste ; puis, je vais dans la vieille ville et je goûte le glissement de la chaleur encore torride vers l’accalmie, jusqu’à la température absolument délicieuse de six heures.
Là, je sirote mon verre de thé chez An-Nafura ou au café d’en face, après un détour chez le glacier, et c’est l’abandon à la douceur du soir (oui, oui, sous le ciel rouge et noir etc. voir Boléro).

La fontaine a de l’eau, mais elle ne coule pas ; quant au narguilé, je crois que je vais renoncer car il crée très rapidement l’accoutumance et l’Ami me dit qu’un seul narguilé équivaut à 20 cigarettes.

Le vin, la bière ? Il est extrêmement facile de s’en passer.

Je ne prendrai pas d’abonnement à Internet vu que j’ai un cyber en face et que la connexion est trop lente pour surfer ; en outre, j’aurai besoin de tout mon temps pour étudier. Je me rends compte que je ne sais rien, mais encore…

Hier, dans la vieille ville, un couple perdu et éperdu m’entend parler l’anglais et me demande un resto bien précis, près de là, dans une vieille maison. Avec mon arabe rudimentaire, je demande à un garçon : tu sais où se trouve un restaurant dans une vieille maison près d’ici ? Et mon interlocuteur nous l’indique. Mes anglos admiratifs : oh, comme c’est bien de tomber sur quelqu’un qui parle arabe et anglais. S’ils savaient !

L’Ami m’accompagne faire mes premières courses pour que je ne me fasse pas rouler ; cet homme, qui a l’âge qu’aurait pu avoir un fils, me traite paternellement, mais sans aucune condescendance. Il pense à tout, me change ma serrure et me dit bien que s’il me met le pied à l’étrier, après j’aurai moins besoin de lui.

Damas, 15 septembre 2002

Damas, Saturday night fever

Chers amis,

Je vous ai vus !
Que je vous raconte, (le voyage c’est après) :
À la 3ème adresse, je trouve un cybercafé en fonction : les machines s’allument, je débarque sur cc21, je vois avec soulagement que db me message et elle mentionne ifead, (BTW, l’IFEAD c’est trop calé pour moi ; j’ai jeté un regard sur leur test d’admission et j’ai compris que ce serait pour dans un an) (ma ponctuation commence à dérailler ici, mais les mots, les sentiments tout s’emballe)…. Et au moment où je vais vous répondre à partir d’un clavier arabe doublé d’un clavier qwerty, tout se bloque et le responsable me dit plus d’internet aujourd’hui. Triste de voir les gens, de leur faire Hou HOU, et ils ne te voient pas et ne t’entendent pas !
Donc, je réessaie de poster demain après avoir envoyé cette prose (à qui puis-je faire confiance ?) au Jeck (suis bien obligée puisqu’il est le seul à connaître mon mot de passe) pour le cas où je n’y arriverais pas et qui alors le posterait pour moi.

Db, si quête il y avait, alors j’ai trouvé. J’adore Damas, la Syrie et les Syriens, l’arabe qu’on y parle et dont, même depuis mon niveau de débutante, je peux apprécier la beauté. Je te remercie de tes recherches. Néanmoins, j’insiste, il n’y a pas de quête car il n’y a rien à trouver en dehors de soi. Et tu sais, ma quête a aussi abouti à Edimbourg et même en Amérique (celle des années soixante qui a expiré en 1975 avec la fin de la guerre du Vietnam).

Revenons au voyage.

Un ami syrien m’avait dit : pour le poids pas de problème, moi je passe avec 50 kg, plus un gros paquet en bagages accompagnés ; y disent jamais rien.

Vendredi, une amie, consultante en bagages, vient m’aider pour la répétition générale et moi qui avais tout pesé au gramme près, sous son impulsion (je mens), je m’emballe et je me dis fourt, j’y vais ; avec un peu de chance, ils me laisseront passer : cet écritoire de campagne qui dort dans mes rayons depuis vingt ans, je vais enfin l’inaugurer pour pondre ma prose devant ma fontaine, et seront du voyage toutes ces robes, folklo ici, mais qui passeront très bien là bas.
Et elle me dit : ce gros manteau d’hiver, tu ne vas quand même pas le porter sur le bras ! Sois classe et voyage à l’aise ; regarde, tu as de la place dans ce kitbag.
Total : JBV me conduit à l’aéroport avec quatre sacs bien lourds que je n’aurais pu soulever qu’avec peine.
Awel, dans la cuisante facture qui m’a été assenée, ce manteau pèse autant qu’un manteau neuf (aux Petits Riens, où je m’habille). Parce que, vous l’aurez deviné, ils m’ont fait payer jusqu’au dernier gramme. Non, je ne regrette rien, car en fait, je m’y attendais. Et comme le billet m’a coûté 1400 patates de moins qu’ailleurs, je pouvais assumer.
Pourquoi ne pas avoir envoyé par la Poste ? On dit que les colis se perdent. Et vous, vous connaissez mon bureau de poste de la rue Tielemans ? Vous ne poseriez pas la question.
Le fret aérien ? Vous avez déjà dédouané quelque chose dans une autre langue ?
Moi je l’ai fait en néerlandais avec ma voiture en rentrant des USA et j’ai eu l’humiliation de devoir avouer ultérieurement, par écrit, l’insuffisance de ma moedertaal qui m’avait fait répondre de travers à une question.

Je vous épargne l’embarquement (quand même, des Syriens, qui devaient avoir cru l’ami mentionné ci-dessus, ont payé un supplément pour leur bagage à main ; faut dire que cette logistique est mise en œuvre par une impitoyable Hollandaise qui vrille son regard de pierre dans nos carry on board ; on me dit qu’au retour, où ce seront les Syriens qui feront le contrôle, je pourrai vraiment ramener tout ce que je veux).

Je ne vous ai pas épargné l’embarquement, mais je vais sauter la description du repas à bord (bon , mais le sevrage commence : pas de vin. Heureusement, j’ai fait le plein avant de partir), pour passer tout de suite à mon compagnon de rangée. Au premier coup d’œil, je me suis dit : c’est un cousin d’un leader bien connu, actuellement dans le collimateur des Ricains ; il avait la moustache virile et des manières qui l’étaient tout autant, si par virilité on peut entendre mauvaise éducation.
Vous allez voir : « on n’étudie plus l’arabe à votre âge, Madame ; c’est bon pour les petits enfants, mais pour vous, c’est trop tard» et il mentionne ma soixantaine. Je me dis merde, (ici, Jeck, tu ajoutes un smiley de circonstance et tu supprimes cette parenthèse) il doit être flic, PERSONNE ne me donne jamais mon âge.
Comme si mentionner mon âge ne suffisait pas, il m’enjoint de me convertir à l’Islam, de me mettre le hijab sur la tête (c’est le foulard et pas la bourqa pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas la différence) et me dit que tout ira bien.

Je ne plaisante plus maintenant, comment, dans un pays de croyants (musulmans, environ 90%) expliquer que ma seule religion est le respect d’autrui et l’amour de la liberté ?
Je crois que je vais devoir un peu hypocritement me replier sur la religion de mon enfance.
Le débat n’est même pas à envisager.

Je rencontre aussi une journaliste syrienne vraiment émue en apprenant qu’elle rencontre une future grande écrivaine arabe, puisque c’est mon ambition avouée ; nous parlons un peu de la femme et elle se sent très bien dans sa peau de célib ; elle n’a pas du tout le genre à se faire toute petite.

Je passe la douane avec mes quatre sacs et mon pc sans aucun problème. Avant, on t’inscrivait tout ce que tu avais de valeur dans ton passeport pour que tu ne sois pas tenté de revendre tes biens.

Je (ouf !) termine, mais pas avant de raconter comment un jeune homme en 3ème année de pharmacie, m’a proprement draguée, donné son login à Internet et son mot de passe (chose que l’on ne fait jamais que sous l’emprise d’une forte passion ; non Le Jeck, ce n’est pas pour cela que tu as le mien) et qui fut tout surpris d’apprendre (ah ! ces jeunes gens bien élevés) que je pourrais être sa grand-mère. Eh non, il ne m’avait pas rencontrée dans une rue sombre.

Allez, je vais dormir sur mes lauriers et mes affronts. Ciao, comme dit PPDA en guignol. Et rassurez-vous, je ferai plus court la prochaine fois.

Veille du départ Bruxelles, le 13 septembre 2002

Depuis un cyber (Dieu sait qui a invalidé ma connexion internet chez moi !) :

Prise d’une intuition toute féminine, je vérifie la réservation de mon vol, et
on me l’avait annulée Qui ? Mystère

Mon prochain message parviendra, in cha Allah, depuis Damas.

Pascal espère être débarrassé de moi, mais je continuerai à hanter ses cauchemars

Ne vous attendez pas à recevoir beaucoup de photos, si ce n’est celles de ma fontaine qui justifie à elle toute seule le séjour.

Bizekes

amg

9 septembre 2002 : FAQ Réponses aux faq

Pourquoi l’arabe ?
Avez-vous de la sympathie pour les Arabes ?
Réponse : oui
Complément de réponse : cela ne fait de moi ni une terroriste, ni une antisémite.

Et qu’en dit votre soeur ? (sérieux : on me l’a posée au moins trois fois)
Réponse : Ma soeur pense qu’à mon grand âge je sais ce que je fais.

Et qu’est-ce que vous allez faire là-bas ? (dans le sens, vous allez vous ennuyer)
Réponse : J’ai trois heures de cours par jour, cinq jours par semaine et je n’aurai pas assez de mes nuits pour essayer d’assimiler tout cela.

Et où allez-vous vivre ? Chez l’habitant ?
Réponse : Je n’ai rien contre, d’autant plus que les Damascènes sont des gens adorables, mais à mon grand âge on a besoin d’intimité et d’un max de confort. Les gens de l’hôtel m’aideront à trouver un appart.

Et est-ce que vous allez revenir ?
Réponse : Pas avant huit mois, je l’espère, et si je me plais là bas, je reste.

Et vous allez nous ramener un Syrien ?
Réponse : je voudrais surtout ramener un diplôme d’arabe.

Et qu’est-ce que cela va vous rapporter de connaître l’arabe ?
Réponse : Rien, si ce n’est le plaisir de lire des poèmes et de la littérature arabes et de pouvoir aller à la rencontre de gens que j’aime bien.

Et vous n’avez pas peur de la guerre ?
Réponse : peur ? non.
C’est à côté que les USA démangent de bombarder, et il y aura peut-être un retour de bâton pour les Occidentaux. Tout le monde sait toutefois que la plupart des Occidentaux ne sont pas d’accord pour attaquer l’Irak.

Et le régime ?
Réponse : Je vais essayer de perdre quelques kilos

D’autres questions ?
Dommage car cela veut dire que je dois m’occuper de mes bagages

Allez, ciao

2 septembre 2002 : L’as du déménagement

L’as du déménagement

Je peux vous faire profiter de ma douloureuse et catastrophique expérience en matière de déménagement.

Donc, je me prépare à partir pour huit-neuf mois.
Je prépare soigneusement ma liste récapitulative.
C’est ici que tout se gâte.
J’oublie ma liste et je vide mes armoires dans mes bagages.

Très vite, je me rends compte que j’ai beaucoup de trop.

Ma maison est un bordel parce que tout est sorti des armoires; je mets donc mes affaires dans des cartons, mais j’oublie ce que j’ai mis dans les cartons. Je les vide régulièrement pour retrouver ce que je cherche. Je cherche du matin au soir, car il y a plusieurs cartons.

Pour mettre un peu d’ordre, j’ai mis de lourds cartons au-dessus de mes armoires. Je les redescends pour chercher. Je ré-étale tout pour m’y retrouver.
Et pourquoi ne pas tout remettre dans les armoires au lieu d’entasser dans les cartons au-dessus des armoires ?

Parce que les armoires doivent rester vides pour le copain qui vient vivre ici.

Je pèse aussi mes affaires; heureuse surprise, Syrianair me dit que j’ai droit à 30 kg, mais pour le bagage à main, pas un gramme au delà de 5 kg. Cela me fera juste mon laptop.

On peut dire que je ne m’ennuie pas, mais je n’angoisse pas un peu.
De plus, tout ce que j’ai classé, comme les huit photos nécessaires pour mon inscription, a été mis en sécurité dans un endroit que j’ai instantanément oublié. Je dois refaire les photos.

J’ai acheté une valise de médicaments homéopathiques et bien que je ne jure que par l’homéopathie, cela fait des années que je me soigne à l’allopathie. Personne ne veut me racheter ma valise? Je vous la fais à moitié prix.

Ce matin, en me réveillant dans ce chantier je me suis demandé pourquoi je quittais ce nid autrefois douillet pour me lancer dans une nouvelle aventure.
Toutefois, les bagages étant à moitié faits et tout étant (mal) classé, cela prendrait trop de temps pour tout retrouver. Donc, je pars quand même.

Je sais exactement ce que j’aurais dû faire : m’y prendre un jour à l’avance armée de ma check list, balancer le trop plein de mes armoires dans des cartons et mettre les cartons au-dessus de mes armoires.
next time

29 août 2002

A la recherche du pays idéal où apprendre l’arabe, j’ai trouvé la Syrie et Damas.
« Tout le monde étudie en Egypte », me dit-on au consulat belge de Damas lors de mon voyage exploratoire en mai 2002.
Si tout le monde étudie en Egypte, c’est une raison de plus pour aller à Damas, outre que l’arabe syrien serait parmi ceux qui se rapprochent le plus de l’arabe littéraire.
Je compte m’inscrire à l’institut d’enseignement de l’arabe pour les étrangers dont le programme s’étale sur huit mois.
J’écris ici pour ceux d’entre vous que l’étude de la langue arabe tenterait ; j’écris ce que j’aurais voulu lire avant de partir.

Ahlan wa sahlan

Après quelques déboires, je relance mon journal commencé en 2002 et hacké en 2005. Pour une fois, je n’accuse pas le Maussade. Il y a un dingue qui a sévi sur la toile et hacké tous les forums qu’il pouvait pour prouver leur vulnérabilité.

Je vais, pour commencer, republier mes premiers messages qui remontent à septembre 2002.
Avant mon départ de Belgique, Pascal m’avait offert cet espace chez lui et m’a suggéré d’écrire mes impressions.
Au début, je marchais sur des oeufs, mais petit à petit, je me suis détendue et sentie plus libre.
Je respecterai mes originaux autant que faire se peut, même s’ils contiennent des inexactitudes que je corrigerai en italique si elles sont importantes.